Littérature

A la fois sculpteur, graveur et peintre, Roger Wolfs a la particularité de se cantonner aux dominantes du noir et du blanc, parfois teintées d'un gris bleuté, d'un brun van Dyck ou d'un vert émeraude, jouant donc essentiellement sur les artifices du clair-obscur, de l'ombre et de la lumière, afin de modeler d'obsédants cortèges de silhouettes anonymes, très souvent aperçues de dos (même lorsqu'il peut s'agir d'un autoportrait), comme si l'artiste veillait toujours à ne point se faire remarquer dans son rôle d'observateur. D'abord réalisées à la mine de plomb, l'artiste traite aujourd'hui ces assemblées de passagers, ainsi qu'il les nomme volontiers, par des techniques mixtes très personnelles qui combinent photographie, encre, peinture et marouflage. Comme figés dans une lumière blafarde, ces personnages aux traits effrangés, marqués par une volonté ascétique d'abréviation formelle et chromatique, déambulant dans des espaces incertains, informels, en attente, comme chez Beckett, d'on ne sait quelle espérance, ou désespérance: "C'est toujours l'histoire de la présence pathétique, sans pathos, sans psyché, sans symboles, écrit Jacques Sojcher, qui, pour sa part, aperçoit les personnages de Roger Wolfs " dans l'existence brute, immédiate, incompréhensible du sujet qui est seul, à côté des autres et dans le lieu de son mystère."

Serge Goyens de Heusch, 'Art belge au XXe siècle' (Editions Racine)



L'Homme de dos

 

Wolfs, nous le savions, n'est pas un artiste de l'évidence; c'est un peintre du travail en gestation, du temps suspendu. Les œuvres qu'il donne à voir cette fois-ci illustrent plus particulièrement cette rhétorique de l'absence, ce refus de la frontalité. Les sujets représentés renvoient-ils dès lors à une révolte, à un refus, à une diversion, à un rejet? Rien de tout cela. L'Homme de dos, chez Wolfs, ne tient pas de discours métaphorique. Il n'a aucune prétention à l'éloquence; il est ailleurs, c'est tout. Il ne se détourne de rien, ne nie rien. Qu'il se trouve nulle part n'allège pas la lecture de ces œuvres énigmatiques. Ce que ces personnages regardent n'est pas visible, sauf à imaginer quelque chose que l'artiste abandonne à la fantaisie du spectateur. A supposer qu'il y ait là plus que des questions volontairement laissées sans réponse.

Les lieux, aussi, sont imprécis, indéfinis, crépusculaires. Faut-il pour autant conclure à la représentation d'une errance, d'un enfermement, d'un abandon dans une pénombre fortuite? Wolfs ne répondra pas, sinon pour nous dire que ce qu'il esquisse dans ses œuvres sont autant d'invitations à se projeter. On peut dès lors avancer, sans beaucoup de risques, que ces personnages vus de dos questionnent avant tout la position du spectateur. Soustrait à l'évidence du visage, confronté à un discours de l'absence et à une mise en scène ambiguë, le spectateur se trouve embarqué dans un voyage intérieur dont il ne possède pas l'itinéraire. Il ne lui reste que lui-même. Tour à tour philosophe, psychologue et poète, Roger Wolfs est un artiste qui sollicite l'imaginaire de son public. De face comme de dos.

 

Michel Oleffe


Roger Wolfs - Itinéraires - Juin 2015

  

A l'occasion du regroupement temporaire d'une centaine de ses oeuvres - sous le thème d'Itinéraires - Roger Wolfs se laisse aller à la confidence.

Qui est-il? Pourquoi fait-il cette peinture? "C'est le contexte incertain des années quarante qui a contribué à la construction de mon univers. La peur. L'angoisse permanente. Même si ma prime jeunesse a été heureuse, les circonstances qui l'ont suivie ont soulevé chez moi nombre de questions. Ce sont les interrogations existentielles du vingtième siècle qui ont nourri ma création. Pourtant, je ne suis pas un désespéré. Je manifeste simplement mon désarroi face à la destinée humaine."

 

Est-il utile de revenir sur la peinture de Roger Wolfs? Sans doute. Un univers sombre, indécis, incertain, peuplé de personnages ébauchés, flottant dans une grisaille permanente, le plus souvent de dos, sans destination, sans destin peut-être. L'atmosphère y est oppressante, détachée d'un quelconque décor, marquée par l'enfermement ou la solitude d'un lointain Achéron. Les couleurs même participent des registres de l'obscurité et du mystère: noirs profonds, bruns sourds, bleus amortis, violets impalpables, gris cotonneux... tout le registre symbolique et ténébreux d'existences en suspens. La lumière, paradoxalement, est omniprésente dans son oeuvre. Il suffit d'observer ses toiles dans la pénombre pour saisir à quel point elles rayonnent. Premières lueurs de l'aube ou crépuscule finissant, qui le dira? Des ouvertures? Sans doute, même si elles ne lèvent aucun questionnement sur leur nature réelle.

 

Wolfs, assurément, ne manque pas d'élégance. La qualité de ses références littéraires et picturales est incontestable. On pense à Beckett, à Gracq, à Buzzati pour l'épaisseur de l'attente. A Böcklin, à Füssli, à Blake pour la singularité de l'expression. Wolfs ne pratique pas le portrait, se prétendant incapable d'en faire, sauf à se représenter lui-même. "Mes personnages sont anonymes, ce sont des passagers. Des créatures incertaines, perdues dans les replis du temps. Elles sont sans visage: mon sujet est l'humanité, pas l'individu." Le fait est que ces personnages ne participent pas d'une volonté d'esthétisme. Ce sont des corps sans grâce particulière, souvent pesants de formes. Ordinaires, dirions-nous. Callipyges, dira-t-il. Cela précisé, on sent, chez Roger Wolfs, une empathie, une recherche de dialogue, une invitation à aller au-delà de la toile ou du papier. A force de se chercher soi-même, il est vrai qu'on finit par rencontrer les autres.

 

Un mot sur la manière de l'artiste. Elle est multiple. Wolfs mobilise de nombreux vecteurs d'expression: le dessin (dans lequel il excelle depuis l'enfance), le pastel, le crayon, l'huile, la photo, l'encre, le modelage... toutes techniques qu'il mélange et dont il joue avec une habileté de metteur en scène. Il obtient ainsi des effets surprenants: silhouettes vaporeuses travaillées au pastel ou curieusement matiéristes, démarquées de ses terres cuites. Les touches de couleurs, nous l'avons dit plus haut, sont discrètes mais suffisamment explicites pour ouvrir d'étranges perspectives.

 

Artiste discret et pudique, ambigu et fataliste, Roger Wolfs est autant philosophe que plasticien.

 

Michel Oleffe - Mai 2015

Parutions

D'Alechinsky à Wolfs

Anthologie chromatique 

Une sélection de la collection d'art 

de la province du Brabant Wallon

Mardaga 2012

Art Belge au XXe  siècle

Collection de la fondation pour l'art contemporain

Serge Goyens de Heusch

Musée de Louvain - la - Neuve

Editions Racine 2006

Ateliers d'artistes

Textes de Gita Brys - Schatan, photographies Christian Carez

EditionS Racine 2006

Pour une histoire de la photographie en Belgique

Répertoire des photographes depuis 1839

Musée de la photographie à Charleroi 1997

 

Art et Vie

Dans l'intimité des créateurs belges d'aujourd'hui

Louis-Philippe Breydel

Editions Alice 2001