Vingt toiles d'une force exceptionnelle, dans une sorte de voyage au bout de la nuit, au bout de soi-même.

La peinture de Wolfs, forte, dense, proche du noir et blanc, n'est pas d'un optimisme débordant. On est face à des personnages flous, de dos, qui marchent dans on ne sait quel brouillard.

« A chacun de trouver son chemin » lance un Roger quelque peu sardonique. Et il ajoute soudain très calme : « Si mes Passagers sont de dos, c'est pour permettre au visiteur d'aller au-delà de ce qu'il voit. Un tableau pour chaque personne est une réflexion. Cela ne me dérange absolument pas que cette quête aboutisse à une opinion qui ne correspond pas à la mienne.»

« Mes 80 ans vont me permettre de faire le point, de m'arrêter un court moment pour réfléchir. Je veux découvrir si j'ai encore des choses à dire. »

Marc Welsch, Vers l'Avenir, 24 octobre 2012

Roger Wolfs a beau être un artiste connu et reconnu, il a la réputation d'être peu accessible.

Réputation qu'il met à mal en nous recevant de manière charmante dans son atelier durant une heure. Un atelier juché dans son grenier de Saint-Remy-Geest, redoutable repaire où il faut se frayer un chemin dans un capharnaüm de toiles inachevées, de croquis, de tabourets, de chevalets et de trépieds de photographe. Car l'homme a toujours adoré la photo en noir et blanc, une constante dans son oeuvre de peintre.

Une passion qu'il a développée au cours de ses études à Saint-Luc, puis tout au long de sa vie.

Les années n'ont pas amoindri sa passion." Quand on a quelque chose dans la peau, on le fait jusqu'au bout. Puis le dessin, c'est comme le violon ou l'écriture, ça s'entretient un peu tous les jours."

 

Yolande Bogaert

En compagnie de ses Passagers, Roger Wolfs a fêté ses 80 ans dans un lieu auquel il a toujours témoigné beaucoup d'affection: la Galerie du Crabe à Jodoigne.

Tour à tour philosophe, psychologue et poète, Roger Wolfs est un artiste qui sollicite l'imaginaire de son public. Au fil des décennies, il scrute le monde et ses habitants d'un regard plus  inquisiteur que contemplatif. Jonglant avec les disciplines (peinture, sculpture, photographie, gravure…), il nous balade tels de gentils touristes dans un univers souvent sombre mais non dénué d'espoir."

 

"Les oeuvres qu'il donne à voir cette fois-ci illustrent plus particulièrement cette rhétorique de l'abscence, ce refus de la frontalité.

Les sujets représentés renvoient-ils dès lors à une révolte, à un refus, à une diversion, à un rejet? Rien de tout cela. L'Homme de dos, chez Wolfs, ne tient  pas de discours métaphorique. Il n'a aucune prétention à l'éloquence; il est ailleurs, c'est tout."

 

Michel Oleffe, mars 2012

 

Le Lieu de son mystère.

       

Pas de portraits donc pas de visages. Espace clos où enfermer les personnages.

Portes perçant le mur. Ciel découpé à la verticale, en oblique ou à l'horizontale.

Entrée de la lumière.

 

Homme en complet veston mains croisées derrière le dos, tenant un chapeau devant un mur immense.

Hommes jumeaux, sans visage, mains sur la poitrine. Pas de visage donc un corps

- des corps - 

à l'avant de l'espace géométrique.

Matière et masse sans identité.

 

Femmes assises, poitrine dénudée, dans une chambre habitée, avec porte donnant sur nulle part. Femme nue nous faisant face, homme gris devant issue de lumière.

 

Personnages imprécis. Ils attendent un événement qui ne vient pas. Un peu pétrifiés, un peu statues, un peu fantômes. Ils sont là, anonymes et présents, massifs et évanescents.

 

S'ils s'assemblent, c'est qu'ils ont peur ? S'ils s'agrippent à leur vêtement, s'ils se penchent,

s'inclinent avancent le bras?

 

C'est une mise en scène, une scénographie, un théâtre des gens dans l'espace.

La lumière est matérielle. Tout est à l'arrêt.

Geste, mouvement, corps, sens.

 

Tout est gris mais bleuté (bleu de Prusse) avec des bruns (van Dyck), du vert (émeraude).

Les noirs et les blancs sont colorés.

Les tableaux sont issus de dessins (plus réalistes), ils viennent de fragments préalables. 

Les sculptures interprètent certaines toiles.

 

C'est toujours l'histoire de la présence pathétique, sans pathos, sans psyché, sans symboles.

Comme d'avant l'émergence de l'humain. Avant la catastrophe d'être au monde ou dans l'abri de fin de monde ? Dans l'autre monde peut être, qui n'est plus ici, qui n'est pas là-bas ?

Dans l'existence brute, immédiate, incompréhensible du sujet qui est seul, à côté des autres  

et dans le lieu de son mystère.

 

Jacques Sojcher